INFORMATION, CULTURE, DICTION, VALEURE MORALE AFRICAINE

INFORMATION,  CULTURE,  DICTION,  VALEURE MORALE AFRICAINE

Jean-Philippe Rapp, directeur du Forum international Médias Nord Sud

 

 

Dans une quasi indiférence générale, 9 millions de personnes meurent chaque année de faim dans le monde. Selon, la FAO, un enfant meurt de faim toutes les 6 secondes et près d’un millardd de personnes souffrent de malnutrition. En Afrique noire, une personne sur trois souffre de famine chronique, tandis que l’Asie du Sud et du Sud-Est totalisent un peu plus de 500 millions de personnes victimes de famine.

 

Mais exceptées les catastrophes naturelles et les grandes famines à l’occasion desquelles la communauté internationale se mobilise, le scandale de la faim s’est malheureusement banalisé au point de n’intéresser que les ONG spécialisées et quelques âmes charitables dépourvues de moyens. On le sait, plus que par le passé, un évènement, un fait, grave soit-il, n’existe réellement que s’il est médiatisé. Conscient que dans la société de l’information et de la communiaction, être, c’est être vu, le Forum international médias Nord Sud (FIMNS) a réuni en 2009 à Genève, puis cette année, du 29 octobre au 3 novembre à Ouagadougou, des journalistes, des experts, et des producteurs autour du thème de "La faim du monde". Objectifs : sensibiliser l’opinion et surtout les décideurs politiques sur cette anomalie que représente la faim dans le monde, et rappeler que des millions de personnes sont privées de leur droit le plus élémentaire : manger. Bilan d’une semaine de débats, de tables rondes et de projections de films avec le directeur du FIMNS avec Jean-Philippe Rapp

 

Comparativement à la précédente édition qui s’est tenue à Genève, n’êtes-vous pas quelque peu déçu de la participation aux tables rondes et aux projection des films ?

 

Non, pas du tout ! Les tables rondes ont quand même réuni en moyenne 50 personnes, voire plus, ce qui est satisfaisant. Pour les films, c’est une approche un peu aléatoire.Quand le film est inétessant, avec la présence du ralisateur qui attire son public, ce n’est pas pareil que s’il n’est pas là, mais cela n’est pas propre à notre présence en Afrique. Nous avons essayé de combler l’absence des réalisateurs en mettant chaque fois un animateur, et de ce que nous avons vu, nous envisageons dans les prochaines éditions publier le programme du Forum dans les journaux et imaginer une formule qui amène plus de gens

 

Quid de la qualité des débats ?

 

Là, je dois dire que nous avons eu des intervenants de qualité car certains sont très proches du terrain qu’à Genève. Et de ce point de vue, je trouve qu’il y a des gens qui ont beaucoup apporté aux discussions. Quant à la participation du public, il faut l’apprécier selon les lieux et les moments : il y a le public qui est venu à l’hôtel Azalaï, puis celui qui a participé aux débats dans le cadre des Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO) et enfin, le public que nous avons rencontré dans les projections mobiles. En prenant en compte ces trois publics différents, on peut avoir le sentiment d’avoir touché beaucoup de monde et c’est mieux comme ça. Les projections mobiles ont parfois attiré du monde, 400 personnes, les UACO environ 100 à 150 personnes à chaque fois, même si c’est un public un peu sélectif. Dans l’ensemble, compte tenu du thème, "La Faim du monde" qui n’est pas facile, je suis satisfait de la participation

 

C’est la première fois que le Forum est organisé en Afrique. Une décision qui a suscité un scepticisme chez certains de vos amis quant à la réussite de l’organisation...

 

C’est vrai ! Quand nous avons décidé d’organiser le Forum en Afrique, beaucoup nous ont dit :" casse-cou, vous aurez trop de problèmes d’organisation, etc"., mais au final, tout s’est bien passé. Au contraire, nous avons rencontré des gens très compétents qui pouvaient rapidement nous sauver de certaines situations comme lors de la cérémonie de clôture au lycée Zinda Kaboré, où on a créé, en moins de 5 heures un espace avec sons et lumière. Comme on dit en Suisse, je suis surpris en bien. Nous avons trouvé des gens qui faisaient tout ce qu’ils pouvaient, même si parfois ils n’avaient pas les moyens techniques de satisfaire nos demandes, mais ils nous donné satisfaction quand même. C’est évident que si nous devions faire une autre édition ici, je travaillerai davantage sur le cinéma mobile et sur les communautés paysannes, ce que nous n’avons pas assez fait car on ne les connaissait pas bien et on n’a pas la prétention de faire le tour de la question. Globalement, je suis heureux et soulagé car les débats étaient de bonne facture, le public était là et nous n’avons pas eu d’ennuis techniques majeurs. Et s’il faut tirer une leçon à la fin de ce Forum, c’est que c’est ensemble qu’on gagnera le combat contre la faim

 

Sur le thème lui-même, avez-vous le sentiement d’avoir vraiement plus appris sur la faim au Burkina que vous le saviez ?

 

Sûrement ! Je pense que c’est un sujet qu’on traite de manière légère en disant qu’il n’y a rien à faire contre la faim. Ce faisant, on ne se rend pas compte que la faim est un phénomène totalement ordinaire dans de nombreux pays dont le Burkina. Des élèves qui vont au lycée et qui ont des problèmes de concentration parce qu’ils n’ont qu’un repas par jour, c’est déjà une forme de malnutrition ! Nous avons rencontré une religieuse dans un Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN) et ça nous a beaucoup touché. On savait bien que la faim frappe des millions de personnes, mais avoir des témoignages personnels de gens qui vivent la situation, c’est bien meilleur que les beaux discours. Entendre et voir cette religieuse confrontée tous les jours à la faim et la mort d’enfants de famine, qui se bat pour les sauver, qui reste optimiste et qui croit qu’il y a des solutions au niveau de la nutrition, je trouve cela émouvant. Ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est de filmer cette réalité, la montrer aussi bien aux UACO que dans les cinémas mobiles. Cela a créé tellement d’émotion dans la population que je me dis que la télévision burkinabè devrait diffuser ce genre de sujets, aller à la rencontre des gens et leur permettre de s’exprimer.

 

Au lycée Zinda Kaboré, vous avez diffusé un film dans lequel un professeur a témoigné sur la faim dont souffrent certains élèves. Comment ces derniers ont-ils réagi ?

 

Dans cette classe où il y a à peu près 120 élèves très sympathiques, nous avons effectivement montré un film de 30 mn avec le témoignage d’un professeur, puis un autre film avec la religieuse du CREN. A la fin, il y a eu un silence lourd. J’ai demandé s’ils avaient des questions et personne ne me répondait. Et puis, tout d’un coup, les questions ont commencé à fuser comme comme s’ils voulaient se libérer d’un forte émotion. Ils ont alors pris la parole et j’avoue que pour moi, c’est probablement le moment le plus émouvant que j’ai vécu ici. Je sentais dans leurs questions et commentaires que pour pas mal d’entre eux, on n’était pas en train de parler d’une situation d’ailleurs mais de la leur. On avait presque les larmes aux yeux et c’est avec dignité qu’ils se demandaient ce qu’on pouvait faire ensemble pour éradiquer la faim.

 

Ces échanges montrent le rôle fondamental que les journalistes, notamment de la sous-région, doivent jouer dans la sensibilisation contre la faim. Ces moments de discussion m’ont donné l’idée de faire un dossier pédagogique, simple qui apporterait des réponses à leur quête de savoir, et qui sera distribué aussi bien en Suisse que dans les lycées de Ouagadougou. Ils se demandaient pourquoi la cantine ne fonctionne que durant quelques mois, pourquoi tant de gens sont dans une telle situation de pauvreté et quelles peuvent bien être les causes réelles de la famine. J’ai essayé d’apporter des réponses à leurs questions en leur disant que les catastrophes naturelles, le changement climatique et les inondations ne sont qu’une partie de la vérité sur les causes de la famine. Je dois vous dire que les discussions ont été intenses que je me suis dis qu’on ne pouvait pas finir le forum dans un hôtel huppé, mais dans un lieu populaire. Nous avons donc décidé que la cérémonie de clôture aura lieu dans la cour du lycée Zinda Kaboré.

 

Un choix symbolique que vous ne regettez pas...

 

Pas du tout, car au résultat, c’était du bonheur ! Nous avons partagé le repas de riz avec des centaines d’enfants, histoire de leur dire qu’on n’est pas là pour raconter leur malheur mais pour leur dire que ce sont eux l’avenir du pays et que la solution viendra d’eux. Nous sommes satisfaits des débats menés avec eux et nous en gardons une belle image parcque nous savons que dans ce lycée, certains viennent de quartiers non lotis, parcourent des kms tous les jours le ventre presque vide, mais qui continuent à venir à l’école tous les jours pour apprendre. D’autres font leurs devoirs avec des lampes et c’est vous dire qu’ils veulent absolument étudier et je me suis dis que si j’ai les moyens un jour, je ferai le portrait d’un lycée comme celui-là. Comment est-ce possible que des enfants en cours s’évanouissent de faim ? Je souhaite qu’on se rappelle de choses simples décrites par la religieuses : dans de nombreux pays, la faim est malheureusement un phénomène ordinaire, des gens en souffrent mais n’en parlent pas !

 

Le forum a lieu en pleine campagne électorale et vu le thème, avez-vous décélé gêne des autorités ou pas ?

 

J’ai plutôt ressenti une complexité à traiter ce sujet puisque c’est à la fois une campagne présidentielle qui coïncide avec le cinquantenaire de l’indépendance et quantité d’autres manifestations ; mais sur le thème lui-même, non ! Je crois que le ministère de la Communication avec qui nous avons travaillé était parfaitement conscient de la situation et il a tout fait pour nous faciliter la tâche. Le plus important à mes yeux concernait les journalistes dont on sait à quel point c’est difficile de faire de l’information dans certains pays, et c’est encore plus difficile quand il s’agit d’un thème austère que celui de la faim et la crise alimentaire. C’est à eux de trouver le ton juste, les angles originaux pour en parler. Quand on passe quelque moment avec femme confrontée à la faim, ce qu’elle dit est tellement vrai, juste qu’aucune comédienne ne pourra dire le texte qu’elle dit, parce qu’elle a dans les yeux toutes les souffrances vues et vécues.

 

Elle a une façon de les dire et je me suis dis que si on a touché le public en diffusant ce film aussi bien au Forum qu’aux UACO, tant mieux ! Je souhaite que le film soit diffusé sur la télévision nationale et qu’on en débatte. J’en ai parlé avec certaines personnalités mais est-ce que ça se fera, j’e n’en sais rien ; en tous cas, nous le ferons en Suisse

 

Sur quels critères avez-vous porté votre choix sur le Burkina pour abriter le Forum ?

 

D’abord, c’est un pays qui connait des problèmes de famine, ensuite on voulait un lieu sûr et le Burkina remplissait cette condition comparativement à ses voisins immédiats. Vous savez aussi que ce pays, et notamment la capitale Ouagadougou, a une expérience extraordinaire de l’audiovisuel et de l’organisation de manifestations. Et puis, entre la Suisse et le Burkina, il y a des liens d’amitié qui remontent à plus de 20 ans et qui sont probablement liés aux médias avec des émissions de télévision et de radio diffusées de part et d’autre. Enfin, on savait qu’on pouvait faire venir facilement des journalistes et des experts de la sous-région pour débattre sérieusement de ce sujet, car la situation au Burkina n’est pas la plus dramatique : ici, on peut quand même s’interroger !

 

Beaucoup de journalistes ont participé aux débats, même si le sujet est pour le moins austère...

 

Vous avez raison, et c’était justement l’intérêt du Forum de Ouaga. Ce n’est pas le sujet journalistique le plus afriolent, mais il y a tellement de causes de la famine qui rendent le sujet intéressant. Que ce soit le problème de la propriété foncière, l’accès des femmes à la terre, la pollution du sol ou l’attribution des aides etc., il y a mille raisons pour faire de bons éditoriaux et de bons articles sur la faim. Je sais que c’est difficile quand un on est rédacteur en chef d’un journal qui a un lien avec la politique de s’exprimer librement, mais il ne s’agit pas forcément d’écrire un article incendiaire, seulement raconter déjà ce qu’est la vie d’un paysan c’est déjà quelque chose d’important. Ca peut paraitre évident pour certains mais, nous avons beaucoup appris sur ce qu’est la période soudure, combien de temps dure t-elle et comment les gens la vivent. Franchement, je rentre avec une belle expérience que j’ai vraiment envie de prolonger

 

Quel est le budget d’un Forum comme celui-là, surtout qu’il est organisé hors de Genève ?

 

Le budget s’élève à environ 600 000 F Suisse (un peu plus de 300 millions de F CFA) dont 30% provenant de la Confédération suisse à travers l’Office de développement. Il y a aussi des des partenaires privés souvent liés à l’amitié personnelle, comme la banque Mirabaud qui en raison de son éthique protestante, nous accompagne même si pour elle, le retour sur investissement est pratiquement nul. Nous bénéficions aussi du soutien de la télévision suisse et des médias qui mettent à notre disposition des moyens logistiques et techniques. Il est évident que c’est plus onéreux d’organiser le Forum dans un pays étranger mais, en même temps, c’est bien que les débats aient lieu dans des régions qui sont concernées par le problème de la faim. Là, on en parle différenmment.

 

L’édition 2009 portait aussi sur le problème de la faim dans le monde. Avez-vous le sentiment que tous ces débats influencent réellement les choix politiques et économiques des gouvernements ?

 

Pour les journalistes, on peut s’en réjouir, car ils en parlent aussi bien au Sud qu’au Nord, ce qui est important. Quant aux décideurs, on verra. Mais je suis content d’avoir pu organiser un débat sur le sujet avec le président Compaoré et le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy à l’occasion du dernier sommet de la francophonie à Montreux. Je souhaite pouvoir organiser une émission pareille dans un an et leur demander de dire ce qui s’est passé entre temps ! Pour notre part, nous allons essayer de mobiliser des entreprises genevoises pour réunir de l’argent nécessaire au financement d’un dossier pédagogique qui sera distribué au Zinda d’ici la fin de l’année. Parallèlement, il y aura certainement des aides offertes par des entreprises génévoises au profit des CREN, en espérant que tout cela fera du bruit et intéressera des réalisateurs.

 

Propos receuillis par Joachim Vokouma

source Lefaso.net



19/11/2010

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