INFORMATION, CULTURE, DICTION, VALEURE MORALE AFRICAINE

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Du sable, juste pour un bol de riz

Des femmes et des jeunes filles balayant des routes ou des sentiers pour recueillir du sable, du gravier ou des restes de granite, qu'elles mettent en tas, comme s'il en pleuvait, en cette période d'hivernage, on en rencontre à tout bout de ruelle dans le quartier Tanghin-Karpala du secteur 39 de la ville de Ouagadougou. Dans le seul but de subvenir aux besoins de leur famille respective, ces bonnes femmes tout au long de la journée sous la pluie comme sous le soleil, rassemblent les agrégats, les tamisent, les mettent en tas et malgré les usagers de la route qui bien souvent ne leur témoignent aucun égard.

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A peine les premiers rayons du soleil ont-ils fait leur apparition ce dimanche 10 août 2014 que nous arrivons à Tanghin-Karpala. Dans un espace vide, une cinquantaine de mètres plus loin une silhouette voutée balaie le sol. Aïssata Sow, comme à l'accoutumée, entame sa journée de labeur. Intriguée par notre présence, elle se redresse et nous fixe, quelque peu inquiète. «Qu'est-ce qu'on me veut ce matin de si bonne heure ?», semble-t-elle se demander avant que le rictus de méfiance qui barrait son visage se dissipe une fois rassurée. «Aujourd'hui, le monde est tel que si tu n'as rien, tes voisins et ta famille te marginalisent, te manquent de respect. Je ramasse et vends donc le sable pour nourrir les miens», explique en langue mooré, la balayeuse de sable, d'entrée de jeu. A l'en croire, c'est à contre-cœur qu'elle fait ce travail, car toute femme aimerait, renchérit-elle, «se lever tous les matins pour se faire belle, recevoir l'argent de la popote, faire la cuisine et passer la journée à causer avec ses enfants». «Sans ce travail, je ne serai jamais en mesure de faire quoi que ce soit pour ma progéniture, car leur père, polygame, ne fait pas grand-chose pour nous», soupire Aïssata. Selon elle, c'est à cause de son emménagement dans ce nouveau quartier qu'elle vit cette situation. En effet, là où elle était avant, elle pratiquait le maraîchage, étant donné qu'elle habitait à proximité d'un point d'eau. Vivant aujourd'hui à Tanghin-Karpala, dépourvue de tout moyen de déplacement et sans le sou, elle n'a eu d'autre choix que de ramasser du sable : «Vraiment, si on me propose quelque chose plus valorisant, je suis preneuse, car je m'efforce de garder le sourire mais au fond de moi, je suis rongée par la tristesse. J'espère que cela ne sera, un jour, qu'un mauvais souvenir».



Un bon repas au Ramadan

Nous en étions là, compatissant au martyre que doit souffrir Aïssata comme une pauvre hère lorsqu'une dame sortit d'une cour environnante, balai et seau en main. Quand cette dernière commença à balayer devant elle, une fillette d'environ 2 ans vint la rejoindre en pleurant, ce qui l'obligea à arrêter son travail. Toutes autres affaires cessantes, elle se mit à l'allaiter tout en pestant : «Cette enfant me retarde». Alizèta Bargo, c'est son nom, partage le même espace de travail qu'Aïssata Sow, et d'expliquer.



«Cela fait six ans que tous les matins, je me rends sur la voie pour balayer la route afin de recueillir le sable et le gravier». Foi des deux dames, le commerce des agrégats se fait sur place. La demi-charrette coûte 1000 francs CFA et la charrette pleine 2000 francs CFA. Sont-elles payé au contant au moins ?

«Il arrive souvent que les acheteurs prennent le sable à crédit et nous patientons parfois des jours avant d'entrer en possession de notre dû», précisent-elles. Tirent elles de cette activité de quoi faire vivre décemment les membres de leur famille ?

Selon Alizèta Bargo, c'est grâce aux revenus de ce travail qu'elle a pu non pas payer des habits et des chaussures neuves à ses 3 enfants comme elle l'aurait voulu mais au moins leur offrir un bon repas, le ramadan dernier.



Alors que nous sillonnons le bled, à la recherche d'un point de vente de sable, nous tombons sur une vieille dame qui sarcle un champ d'arachide et d'oseille, aidée d'une fille. Les salamalecs terminés, s'engage une petite discussion avec Fatimata Sawadogo et sa fille Ramata. «Mon mari ne veut pas que je ramasse le sable en raison de mon âge avancé, mais je refuse de vivre aux crochets de mes enfants qui, eux aussi, doivent subvenir aux besoins des leurs», dit-elle. Et quand «Yaaba» n'est pas sur la voie, elle est dans une parcelle non construite située en face de chez elle et qui lui sert de champs d'arachide et d'oseille : Une activité pas plus légale que la première. Mais puisqu'il faut subsister en toutes saisons...



Les unes triment, les autres mangent

Mais quelle est la qualité de ces agrégats récoltés parles moyens de bord ? A quoi peuvent-ils servir ? Pour en savoir plus, il faut s'en ouvrir aux acheteurs et aux consommateurs. Fatimata Sawadogo ordonne à sa fille de nous conduire chez son client Hermann Simporé. Nous le trouvons installé sous un hangar à côté duquel on aperçoit une charrette, un âne et des « dunes ». Il se veut le «grossiste» du coin : «Je suis le principal acheteur de sable d'une trentaine de femmes de ce quartier». Puis Hermann nous confirme que le prix d'achat de la charrettée est de 2 000 francs CFA, mais admet la revendre un peu plus cher, précisément à 3 000 francs au moins, ce qui lui permet de faire du profit. Le prix de vente du sable par camion varie de 60 000 francs à 230 000 francs CFA, selon le tonnage du véhicule. A en croire Hermann Simporé, il y en a pour toutes les qualités. «Il y a du sable destiné à la confection des briques, à la construction, au crépissage et au carrelage», explique-t-il en bon spécialiste.



Pendant que «nos femmes» lancent des cris de détresse, ahanant chaque jour et ensablés dans les difficultés existentielles, l'acheteur avoue faire de bonnes affaires, surtout en cette saison pluvieuse où de nombreux chantiers reprennent du service.



Source: Bayiiri.com / Aline Ariane Bamouni (stagiaire)



27/08/2014

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